INCENDIE A LA FERME DU M… A DAMAS-AUX-BOIS EN 1929

 

 

 

Un jour c’était la nuit, j’étais dans mon lit, et, tout récripoté parce qu’y faisait froid, je dormais. J’avais veillé tard, parce que j’avais pour mission de faire sécher la bande de lard, les deux jambons et les saucisses de la moitié de cochon que mon père avait acheté.

 

Eh ! oui, on n’avait pas assez de sous pour en acheter un tout entier !!! Alors on en tuait que la moitié d’un !!!

 

Donc, je dormais, il était p’tête minuit, j’entendais des bruits, des drôles de bruits. J’ouvris les yeux, puis en pané de chemise j’ouvris la fenêtre et vis cette maison qui brûlait par tous les bouts. Je sautai dans ma culotte et dans la rue par-dessus la trappe de la cave, et me ouëla parti dans la rue en gueulant : « Au feu ! Au feu ! ». Mais personne n’entendait.

 

Y faisait noir nuit, à l’époque-là, y avait pas de lumière dans les rues. J’allai chez le père Poirot, le sonneur de cloche qui m’dit : « Mon pore âgné te ouëla tout échotté ! Va sonner le tocsin ».

 

Comme j’savais pas c’que c’était, j’ai sonné les trois cloches, comme pour la grand-messe.

 

Quand j’ai eu fini de sonner, je fonçai à la ferme du M… où tout brûlait. Les gens commençaient à arriver, habillés « à la va comme j’te pousse », tout effarés et ensommeillés. On a été chercher des seaux à la laiterie Grosjean, et on a fait la chaîne depuis la fontaine pour trisser de l’eau sur le feu.

 

Puis les pompiers arrivèrent, pendus après les brancards de leur machine. Une moult belle pompe, ma foi ! avec des dessins rouges après les ridelles et des beaux accroche-cœurs en cuivre. Les v’là qui déroulent les tuyaux et qui trempent le bout dans l’eau de la fontaine. Nous, avec nos seaux, on essayait d’remplir le cuveau sur la pompe.

 

Ça pompait beaucoup, mais à l’autre bout y sortait pas grand-chose ; forcément le seau rempli au départ à ras le bord arrivait presque vide à la pompe, tellement il était ergoté tout le long de la chaîne où on était bien cinquante. Puis y en a un qui a dit : « Les tuyaux ! Y a des souris qui ont fait des trous d’dans. Allez les gamins ! Mettez-y vos doigts pour que l’eau ne s’perde pas en route ». On a pris aussi nos mouchoirs, on faisait ben s’qu’on pouvait, mais ça trissait pas beaucoup plus ! Et ça brûlait, ça brûlait toujours.

 

Puis, un petit pompier avec un gros casque en cuivre (moult beau, ma foi !) est entré dans la chambre de devant. Il a ouvert un placard, il a pris un boa de femme, et, attifé comme ça, il a ramassé un bon sac de pruneaux secs et il est venu se promener dans la foule et il offrait des pruneaux à tout le monde comme au marché.

 

Puis, un dur-à-cuire arriva. On l’appelait « le Brancard ». Comme il fallait qu’il fasse quelque-chose, il a pris une grande perche et fit tomber depuis le toit du voisin une poutre en feu et la chânatte. Tout le monde en bas s’est sauvé. Puis il est descendu et comme il avait vu les animaux se sauver plus ou moins brûlés et qui gueulaient dans les rues et sur le pâquis, il prit un grand couteau et partit en saigner quelques-uns.

 

Ça brûlait de plus en plus. On ne pouvait pas éteindre ça, mais fallait sauver quand même les maisons d’à côté : chez le laitier et le « Ronron », le maréchal-ferrant (y s’appelait Charles Georges ; qui l’avait baptisé « Ronron » ? Mystère !).

 

La foule se précipita donc dans celle du laitier et envahit toute la maison. Alors, la frénésie du sauvetage les prit et j’oyais tout ce qui se passait par la fenêtre d’en haut : les armoires, le linge, les petits meubles, les glaces, les gamelles, les bidons… et je vis une femme qui, ne trouvant plus rien à sauver, prit quelques litres à moitié vides et les porta délicatement devant chez Maudru, l’épicier, et elle les posa avec précaution sur le pavé.

 

Toutes ces choses s’entassaient pêle-mêle dans la rue, puis ce fut le tour de la maison du maréchal-ferrant. J’entrai dans le couloir et je vis la table de la cuisine que personne n’avait pu sortir parce qu’elle était trop large. Une vieille cafetière trônait au milieu. Je vis passer une vieille femme pas bien réveillée, qui arrivait en retard. Un coup d’œil à la cafetière ; elle la rafla, la pressa contre son cœur, passa devant moi en courant. On ne les a jamais pu revues, ni la femme, ni la cafetière.

 

La maison brûlait toujours, celles d’à côté avaient seulement eu chaud. Petit à petit, le feu s’éteignait, y avait pu rien à brûler. Le jour se leva comme sur un champ de bataille, tout le monde bien fatigué. Quelques-uns rentraient chez eux. Quelqu’un a dit : « On a tout sorti ! Maintenant faut tout rentrer ! ». Ça allait moins vite que dans l’autre sens. Ça fumait toujours. Quelques poutres noires pointaient leurs moignons vers le ciel. C’était fini, et pourtant, devant l’épicerie, il y avait un seau hygiénique abandonné et personne ne voulait le rentrer.

 

Les gens commençaient à se demander pourquoi cette ferme avait brûlé aux quatre coins en même  temps ? On trouva le M… et sa mère un peu plus loin ; ils regardaient la scène. Quand les gendarmes posèrent des questions, au bout de cinq minutes, ils racontaient tout : « C’est mouë ! Pour toucher l’assurance ! C’était simple, non ? ».

 

Le pauvre M…, sa maladie, c’était son travail. Quand il fendait du bois devant chez les chères sœurs, à côté d’ouss qu’on habitait, ma mère lui payait un canon de rouge. Il disait : « Madame Poirson, celui qui a nventé le travail ! C’est pas possible ! J’ai horreur de travailler ! J’peux pas, c’est terrible ! ».

 

En prison y pouvait p’t’être dormir tout son saoul ?

 

J’lai rencontré un jour sur le pont de la gare de Nancy. « Bonjour M… Ouss que t’vas ? » - « Ben j’vas là-bas ! » - « Où la-bas ???... ».

 

 

 André POIRSON

(avec l’aimable autorisation de son fils Michel)

 

 

 

 

A propos des pompiers.

Au Moyen-Age, il n’existe pas de corps de pompiers spécialisé. En cas d’incendie, on compte sur les volontaires. A la fin du XVIIe siècle, à Paris, le Lieutenant général d’Argenson dote chaque quartier d’une pompe à incendie. Le corps de garde-pompes est créé en 1716, avec un poste de Directeur des Pompes de la Ville de Paris ; il est réorganisé en 1811avec la formation du Bataillon des Sapeurs-Pompiers de Paris. En 1815, organisation d’un service communal de lutte contre l’incendie étendu à tout le territoire national.

(A.D. – série R – sous-série « sapeurs-pompiers »).

 

 

 

 

 

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