VEILLEES DES MORTS ET ENTRERREMENTS A DAMAS-AUX-BOIS EN 1930

 

 

 

Quand quelqu’un mourait dans le village, tout le monde le savait, tout le monde racontait à tout le monde comment le mort était mort, c’qu’il avait dit avant de mourir et c’qu’il avait souffert tant qu’il était vivant. C’était un sacré con, un moins que rien, mais depuis qu’il était bon pour le boulevard des allongés, il était devenu le meilleur des hommes, ou des femmes bien sûr, parce que les femmes mouraient aussi, et là, c’était plus terrible, pass’qu’elles laissaient des gamins tout petits, et que c’était le plus grand qui remplaçait comme y pouvait la môman à la soupe, le pov’gohno (petit), c’était lui qui élevait ses frères et sœurs, fallait ouâr c’que ça donnait, mais c’était comme ça et pas autrement.

 

Le mort, on le lavait et pis le rasait, y pensaient qu’le bon Dieu aimait pas les pas rasés ! les mal habillés non pu, piss’que les bonnes femmes lui enfilaient son beau costume des dimanches, celui qu’il avait acheté exprès quand y s’était marié. Les femmes débarrassaient la table de la salle à manger, pis le mettaient dessus de tout son long. Elles retapaient le grand lit, pis le mettaient dessus, on y croisait les mains sur la poitrine et un chapelet dans les doigts, pis on lui liait autour de la tête une serviette blanche pour tenir la mâchoire de d’sous qui foutait le camp ; on la lui enlevait quand il était tout raide. Sur une petite table à côté du lit, on mettait des chandeliers et on allumait les bougies, pis du buis qui trempait dans un verre d’eau bénite. On mettait aussi un crucifix tout noir avec un christ en croix tout blanc ; on fermait les volets et on arrêtait la pendule pour qu’elle ne sonne plus. Pour nous les gosses, quand c’était quelqu’un de la famille, ça ressemblait à une fête, pour une fois on avait des gens à la maison.

 

Tout se faisait en silence dans le chuchotement des femmes, pis elles allaient chercher des chaises chez le voisin, pass’qu’on en avait pas assez pour tous ces gens qui allaient venir trisser (jeter) de l’eau bénite. A la cuisine, c’était le recueillement, les femmes préparaient à manger et à boire pour tous les ceuss’ qui allaient certainement venir, quelquefois de loin, c’était à cette occasion que dans la famille tout le monde oueîllait tout le monde, même les ceuss’ qui étaient fâchés à cause d’à cause !!!??? Les cousins arrivaient en calèche, des autres en vélo, y en avait même qui avaient pris le train, mais comme il y avait 10 kms de la gare au pays, le Paul allait les chercher à la gare en tap’cul, et que j’te les hergotte (secoue) tout au long du ch’min plein de trous, quand y z’arrivaient y z’étaient tout toussés et régrulés (refroidis) les pôvres !

 

Te retrouvais tout ça dans la chambre mortuaire, avec des mines des airs de gens qui avaient un air d’en aouâr deux, et ça racontait les derniers moments du mort, et chaque fois qui en venait des nouveaux, ça recommençait « pensez ouâr ! un si brafe homme ! si c’est pas une pitié d’finir comme ça ? ». Puis les femmes, toutes habillées de noir, s’asseyaient en rond autour du lit et récitaient des chapelets. Les hommes se retrouvaient à la cuisine pour boire le café, puis la goutte, puis après pu de café, seulement la goutte, beaucoup de goutte ; les émotions…fallait les calmer, nèmi ? (non ?)… La mirabelle, ça s’appelle pas de l’eau de vie pour rien ! Après un moment plus ou moins long, ces sacrés ouérés-là y z’en avaient d’la vie, même qui n’savaient pu quoi en faire, alors ça commençait à rigoler. Arrivait le charpentier du villâche, qui venait prendre les mesures du mort pour fabriquer le cercueil, y buvait aussi la goutte, puis il partait en jambolant (titubant) pour faire son travail, fallait qu’y se grouille car le mort commençait à sentir, rapport que ces sacrées bonnes femmes qui se g’laient, avaient fait chauffer le fourneau à blanc.

 

Les bonshommes à la cuisine ne se sentaient plus, si bien que toujours une femme se levait et entrouvrait la porte ; les hommes s’arrêtaient le verre à la main, elle disait « Oh ! Alphonse ! voyons Alphonse ! ». Ça suffisait, les haltatas-là se taisaient, pour le moment.

 

Avant la nuit noire, mossieur le curé arrivait avec deux enfants de chœur tout habillés de noir et blanc. Il récitait la prière pour les morts et s’en allait. Après, les gens soupaient, puis la veillée funèbre commençait ; comme le mort sentait de plus en plus, une femme venait avec un petit séchot (sac) qui contenait des feuilles de papier d’Arménie, elle faisait brûler ça et la chambre sentait moult bon.

 

 

Puis c’était les gens du pays qui arrivaient avec vraiment des gueules d’enterrement, gênés, ne sachant où mettre leurs mains. Un membre de la famille les guidait pour trisser de l’eau bénite, puis après un signe de croix, ils allaient prendre une chaise. Quand y en avait plus, un en profitait pour s’en aller, bien content. Les hommes tripotaient leur chapeau et c’était le drame : combien de temps y fallait rester là pour que la famille soit contente ?... Voyant leur embarras, une femme se levait et parlait à l’oreille du bonhomme : « allez à la cusine ! » Il allait retrouver les autres, la femme du mossieur rentrait à la maison.

 

La cuisine se remplissait, les litres se vidaient et le ton montait. Y en avait toujours un plus rigolo que les autres. Et ça racontait des histoires plus ou moins salées ! La nuit, c’est long, mais avec les histoires de la guerre de 14/18 et la goutte, on arrivait au jour. Chacun retournait chez soi pour y dormir quelques heures, seules quelques femmes restaient auprès du mort. Le jour était là, le café aussi. Le charpentier venait avec son cercueil et, aidé de quelques hommes, mettait le mort dans un drap et dans la boîte ; on vissait le couvercle. Là, la famille sanglotait ; on replaçait le cercueil sur la table et on attendait M. le curé et le chariot.

 

Tout le monde se rassemblait dehors entre les tas de fumier, les porteurs portaient, mettaient le cercueil sur les planches du chariot et ça partait vers l'église, Mr le curé chantait devant, entouré par les enfants de chœur, un qui portait la croix (en général c'était moi) l'autre le goupillon dans sa gamelle, et tout ça rentrait dans l'église. Alors là, selon que le mort était riche et bien vu, que la famille pouvait payer ou pas, il y avait trois classes : 1ère 2ème et 3ème, à la première c'était le grand tralala, avec accessoires noirs crâs ( corbeaux) et fanfreluches de glands et bordures argentées et la belle musique, quand c'était un ancien combattant, les drapeaux de la France, les demoiselles du rosaire et tous ces bonshommes au premier rang, l'église était noire de monde et la quête était ras le bord. Monsieur le curé promenait l'encensoir autour du catafalque, autour brûlaient des cierges dans de grands chandeliers, les femmes d'un côté, les hommes de l'autre, les parents du mort devant, les femmes avaient des grands machins noirs qui leur cachaient la figure, comme ça te les ouëillais pas pleurer. Mr le curé se déchaînait en prêche, disant que ce grand brave homme était en route pour le paradis, mais qu'on était quand même peu de chose sur terre.

 

Quand c'était un 2éme classe,. c'était moins beau et ça allait plus vite. Pour la 3éme, c'était vite expédié et pas de fanfreluches. Comme je servais la messe à tous les enterrements, j'aimais mieux les 3émes, on chantait la messe des morts, c'était très impressionnant« Dies iré Dies illa, calamitatis in fabilla, la la la mécoum in fabilla », le bedeau chantait tout seul, puis Mr le curé et les femmes reprenaient tous ensemble.

 

Ca avait commencé, donc ça finissait, et nous voilà partis pour le teulot (cimetière) à la queue

leu leu, la famille derrière le chariot, le cheval s'arrêtait en route pour chier son crottin et on r'partait, c'était long mais tout arrive, la porte du cimetière était grande ouverte, le fossoyeur au garde à vous . attendait, on entrait, le trou était là avec les planches et les cordes, quelques femmes se sauvaient pour faire la soupe aux vivants.

 

Devant ce trou profond ça sanglotait dur, des larmes, un vrai déluge, puis chacun retrissait de l'eau bénite puis passait devant la famille en rang d'oignons pour les condoléances, fallait ouar tous ces gens la gueule qu'ils se prenaient, pour assurer aux gens là qui z'étaient de tout cœur avec eux.

 

Puis c'était fini, y avait pu d'cœur ou pas beaucoup, mais surtout des estomacs, pendant que le fossoyeur rebouchait le trou, toute la famille se retrouvait dans la salle à manger, ouf, c'éto ra! (c'était fait) et le banquet commençait, on ouvrait la fenêtre toute grande pour chasser l!odeur du papier d'Arménie. Après la soupe, ça commençait sur la question "d'héritâche", ça n'allait pas toujours tout seul, surtout quand il y avait quelque chose à hériter, mais ça passait. La vie continuait, chacun rejoignait sa baraqu􀁭 les chevaux piaffaient, les carrioles partaient et la famille rentrait, c'était l'heure de traire les vaches ..... .

La terre n'arrêtait pas de tourner, le soir dans la chambre à coucher; un lit vide, un fourneau pas allumé, un silence épais et angoissant, mais comme on ne meurt pas au presse bouton, faut bien vivre et continuer, pas vrai??????

 

 

 

 André POIRSON

(avec l’aimable autorisation de son fils Michel)

 

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