Odette PIERRE

Sur le sentier de mes aïeux, souvenirs d'un terroir vosgien, la vallée de Cleurie Kruch Editeur 2001

 

 

La moustache de Nicolas Cambïn..

 

 

On traversait les siècles sans que cela ne change beaucoup.

Lorsqu'au cœur de l'hiver 1878, on baptisa Marguerite Jacqu'ré (TISSERANT), le plateau de la grande Charme était recouvert par une importante couche de neige, et les flocons continuaient à tomber drus. Avant de partir, on avait pris soin d'enve-

lopper le nouveau-né dans une couverture épaisse, nouée aux quatre coins. Cela fai- sait un baluchon plus facile à porter pour la marraine, et un abri presque convenable pour une petite Marguerite bien fragile pour affronter déjà la tempête. L'aller fut péni- ble avec ses grandes descentes, mais sans trop de problème. Sur le chemin du retour, la marraine fatiguée par cet interminable trajet, marchait derrière, dans les traces que lui faisaient les autres. Son bras depuis longtemps était ankylosé par le froid et surtout par le poids du ballot encore alourdi par la couche de neige mouillée qui s'y accrochait.

Enfin de retour après des heures de marche et le dénivelé assez sévère, tous franchissaient la porte de la cuisine. Lorsque la maman, seulement debout après sa couche, voulut récupérer son bébé ; on s'aperçut que le baluchon était vide. Il fallut se rendre à l'évidence, la petite avait glissé dans la neige, par un coin de la couvertu- re laissé entr'ouvert pour la respiration.

Sa marraine, tellement épuisée, ne s'était aperçue de rien. On fit demi-tour et, à sept ou huit cents mètres de la maison Jacq'ré, on retrouva Marguerite à moitié enfouie dans le manteau neigeux, mais paraissant en bonne santé. Elle s'époumonait pour se réchauffer, ce qui avait en outre facilité la recherche. Elle vécut malgré tout jusqu'à l'âge de 95 ans.

De nombreux enfants mouraient échaudés. Pour beaucoup de raisons, on uti- lisait journellement, l'eau bouillante. Les ustensiles en contact avec le lait sont très favorables au développement des bactéries et aux odeurs aigries. Il était impératif de les brosser soigneusement à l'eau très chaude, surtout qu'on n'avait pas de produit nettoyant.

On faisait aussi gonfler les sons pour le bétail, on offrait une tisane de foin aux vaches malades... Les marmites et les cuveaux fumants, s'alignaient soir et matin sur le sol des béteus, également terrains de jeux des petits sans surveillance.

Une ferme comme les autres : celle des PIERRE. Ce soir-là, dans l'avant- grange, on préparait un pain d'huile pour le bétail Marcel, le petit intrépide, tentait de tirer la moustache de son père. Mais voilà, il ignorait encore, que justement, on ne tirait pas la moustache de Nicolas CAMBÏN. Lorsque, dans les yeux de son père, il

mesura la gravité de son geste, il fit un violent écart et bascula dans le cuveau fumant. Le lin gras lui brûla profondément le bras et tout le côté droit.

Le vent s'en est allé colporter la nouvelle aux oreilles d'un braconnier «un enfant CAMBÏN étu hhaudà» (échaudé). L'homme vint aussitôt apporter la dépouille encore fumante de sa chasse clandestine. La peau sanguinolente du lièvre, dont on enveloppa délicatement la partie la plus brûlée, protégea les blessures contre les microbes extérieurs, sûrement mieux qu'un linge non stérile et favorisa la régénéres- cence des cellules.

Le vieux savaient : de nos jours, dans les hôpitaux, on lave les brûlures avec le placenta des jeunes accouchées.

Marcel mit des mois à se remettre de son accident et garda toute sa vie les traces indélébiles de sa jeune témérité : un souvenir plutôt cuisant !

Tout le monde a dit qu'il avait eu la vie sauve grâce à une simple peau de liè- vre. Moi, j'ajoute, aussi au bienveillant intérêt que portait, même un braconnier ano- nyme, à chacune des personnes qu'il connaissait.

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