Voilà donc notre avant-dernière histoire du jour :

Un texte d’Alain Claude que nous remercions d’avoir fourni bon nombre d’histoires :

 

En 1789, les effets de l’éruption du volcan islandais « Laki » à Blevaincourt

 

Les historiens ont fait la relation entre l’éruption du volcan islandais « Laki » et les troubles qui ont secoué la France en 1789. Nous allons regarder quelles ont été les anomalies climatiques ressenties à Blevaincourt (Vosges), en cette année révolutionnaire.

Tout d’abord, l’éruption commença le 8 juin 1783. Au début elle fut explosive, puis elle continua en émission de lave et de cendre pendant dix mois, jusqu’en avril 1784. Son nom est resté associé à l’une des plus grandes catastrophes naturelles de l’histoire. Ce n’est pas la force de l’éruption, mais sa durée qui fut dramatique. Des milliers de tonnes de poussière jaillirent des entrailles de la Terre, provoquant des milliers de morts parmi les hommes et les animaux. Durant des mois, le gaz sulfurique émis plongea l’Europe dans un épais brouillard.

Dans les années qui suivirent l’éruption, de très importantes perturbations météorologiques furent constatées. Les températures enregistrées furent anormalement basses, accompagnées d’orages et d’inondations. En France, les récoltes furent mauvaises et la disette s’installa. Cherté des prix, hausse des cours du grain. Du début de 1788 au mois de juillet 1789, le prix du setier 1 de froment à Meulan passe de 24 à 55 livres. Dans l’actuel département du Nord, la crise des subsistances entre l’été 1788 et 1789 relance les émeutes. En France, on compte 58 émeutes de subsistances en 1788 et 231 en 17892  . D’après les historiens, c’est cette famine et la pauvreté qui en découla, qui les amenèrent à faire la relation entre cette éruption volcanique et la Révolution de 1789.

 Concernant ces événements climatiques dans notre région, voici ce qu’écrivait à l’époque le curé de Blevaincourt3 , village vosgien de l’extrémité ouest de notre département:

 «  Cette année 1789 est sans contredit une des plus remarquables du 18e siècle. Elle a commencé par un hiver des plus longs et des plus rigoureux. Plus de la moitié des arbres fruitiers ont péri. Les plus anciens disent n’avoir jamais vu autant de neige ni durer si longtemps. La sécheresse qui avait précédé ce triste hiver a tari les sources au point que les moulins ne pouvaient plus moudre. Le peu d’eau qu’ils se procuraient en faisant manœuvrer se congelait aussitôt après la roue. Personne n’ayant pu faire provision de farine à cause de la sécheresse, on se trouvait dans la plus grande disette. On a eu recours aux meules des huileries, les uns ont construit des moulins à cheval fort dispendieux, les autres des moulins à bras bien pénibles et de peu de rapport, quelques-uns même ont eu la patience de moudre dans des moulins à poivre.

Le dégel enfin est venu dans le mois de février après que les dépenses de ces différents moulins furent faites. Mais à peine a-t-on évité Charybde qu’on tombe en Scylla. Dès le mois de mars, on parle de la rareté du grain. Le blé se vendait au mois d’avril neuf francs le bichet mesure de La Mothe4  . Il a toujours été en augmentant jusqu’à la moisson où il se vendait douze francs. Il s’en est vendu encore plus cher. La récolte n’a point  amené le bon marché ; quoiqu’assez abondante en gerbes, la grenaison n’y est pas. Heureusement que les gros grains ont donné ce qui, joint avec les glands5 , pourra faire diminuer le blé.

Quant à la vendange, elle est des plus pitoyables. Le peu de vin qu’on a fait ne vaut pas de la pique6  et malgré cela, il n’est pas bon marché. On le fait encore 7, 8 et 9 francs, mais on ne lui fait pas grand mal. Les buveurs de profession se sont prônés d’eux-mêmes aussi les prédicateurs n’ont qu’à mettre sous clef  les sermons sur ce sujet »

Hélas, l’année 1789 faisait suite à une année 1788, qui, si on en croit les textes, avait déjà été une année terrible pour les récoltes. La cause principale avait été un grain orageux, qui traversa la France du sud au nord en juillet 1788, détruisant presque toutes les récoltes du pays. On pesa des grêlons de 10 livres (5 kgs) ??? Un journal de l’époque nous relate l’événement :

 « 1788 – 13 juillet,

 - Le dimanche 13 du mois de juillet mil sept cent quatre-vingt-huit, vers les onze heures du matin, il s’est élevé un orage terrible venant du sud. La pluie, la grêle, le vent et le tonnerre ont fait un ravage effroyable dans une grande partie de la France, peu de provinces ont été épargnées par le fléau. La grêle principalement en a dévasté une grande partie. Les blés et autres denrées ont été entièrement perdus dans beaucoup d’endroits, dans d’autres à moitié et dans certains autres au tiers ou au quart. Les villes et les grandes maisons ont souffert de dommages considérables. La misère est devenue des plus grandes, le prix du blé est venu excessif et pour comble de disgrâce, l’hiver a été le plus long et le plus rigoureux que l’on ait jamais vu. Joint à tout cela, le mauvais état des affaires du royaume, qui est cause que le monarque ne peut donner à son peuple le soulagement à de si grands maux. La misère est à son comble, Dieu veuille y mettre fin et nous bénir  tous ».

Évidemment, après une telle catastrophe, l’année 1789 n’a pas dû améliorer une situation qui n’était déjà pas brillante. L’éruption du volcan « Laki » et les bouleversements climatiques qui en ont résulté ne sont peut-être pas les seuls en cause, cependant, les historiens admettent que leurs influences furent considérables dans les événements politiques qui mirent fin à la royauté en France.

Si ces mêmes incidents climatiques se produisaient de nos jours, je n’ose imaginer ce que nos « augures écolos » nous prédiraient comme avenir !!! Peut-être la fin du monde ! Pourquoi pas !

 

Alain CLAUDE

 

1 - Le setier de Paris contenait 156 litres de froment.

2 - LE ROY LADURIE (Emmanuel), Les fluctuations du climat. De l’an mil à aujourd’hui, Fayard, 2011, Mesnil-sur-l’Estrée, 321 p.

3 - A.D. 88 11T 16/48

4 - Environ 25 litres, mais la contenance variait dans chaque bailliage.

5 - Les glands de chêne, étaient utilisés en période de disette pour faire du pain. Il fallait les faire bouillir plusieurs fois pour enlever leur amertume et permettre ensuite de les transformer en farine.

6 - Pique ou piquette : Les piquettes proprement dites proviennent de l’épuisement des marcs de raisin après pressurage en aspergeant d’eau ceux-ci dans un tonneau debout dont le fond supérieur est enlevé La piquette titre habituellement 3 à 5°d’alcool. Au 19e siècle, on disait que c’était une boisson économique et saine !!! (Nouveau Larousse illustré)